Quelques œuvres que j'adore

Lettre d'une inconnue

Un écrivain reçoit la lettre d'une femme qui l'a aimé toute sa vie en silence ; elle l'a connu alors qu'elle n'était encore qu'adolescente, et n'a immédiatement vécu que par lui, qui ne se rendait compte de rien. Plus tard, n'étant rien d'autre pour lui qu'une aventure de passage, elle aura un enfant de lui, qu'elle idolâtrera comme l'image de l'homme qu'elle aime. Mais le garçon venant de succomber à une pneumonie, elle décide de le suivre dans la mort, ayant perdu tout ce qui lui était cher et n'ayant plus l'espoir de jamais se faire aimer de cet écrivain. Cependant avant d'en finir elle se doit d'écrire à son éternel aimé, pour enfin lui avouer ce qu'il n'a jamais su voir.

Sans doute l'oeuvre la plus déchirante de Zweig, cette nouvelle - lettre de l'inconnue du début à la fin - a longtemps été ma préférée, et figure toujours dans le trio de tête ; j'ai bien dû la relire une dizaine de fois, sans pouvoir m'empêcher de pleurer...

Le Joueur d'échecs

Sur un paquebot, Czentovic, le champion du monde d'échecs, rustre qui ne connaît que le jeu et ses pièces de bois qu'il a toujours avec lui. Le narrateur rencontre Mr B., qui lui contera son histoire : emprisonné pendant la seconde guerre mondiale dans une "prison dorée", où il est interrogé sans être ni battu ni contraint à quoi que ce soit : mais se retrouvant dans une chambre totalement close, sans jamais contact d'aucune sorte... Sur le point de devenir fou, il arrive à subtiliser un bréviaire de parties d'échecs ; il apprendra à jouer "mentalement", commencera ensuite à jouer contre lui-même, et finira par sombrer dans une véritable monomanie des échecs. Libéré, c'est sur ce paquebot qu'il a pour la première fois l'occasion de voir un échiquier, et tente de jouer contre Czentovic, qu'il bat allègrement, avant de devenir comme hystérique ; le narrateur l'arrête avant qu'il ne soit trop tard.

Une des dernières et plus connues nouvelles de Zweig, d'une forme plus complexe et d'un genre en apparence un peu différent des autres, cependant de toutes façons un chef d'oeuvre de psychologie.

Vingt-quatre heures de la vie d'une femme

Une femme d'âge "mûr" (40 -50 ?) rencontre dans un casino un jeune homme qui vient pour la énième fois de se ruiner. Elle tente de l'aider, ils vivront 24 heures troublantes, tour à tour amants, amis, mère et fils...

Gorki avait dit de cette nouvelle qu'il "n'avait jamais rien lu de plus profond". Les paradoxes instinct maternel / instinct féminin de la femme sont fascinants ; une nouvelle intense et peu commune...

La Pitié dangereuse

Jeune officier de garnison, Anton Hoffmiller, invité à un bal, fait tomber en larmes la fille du maître de maison en l'invitant à danser, ignorant qu'elle est paralytique. D'abord voulant réparer sa "gaffe, il multipliera bientôt les visites, devenant peu à peu membre de la famille; cependant il ne se rendra pas compte que la jeune fille tombe follement amoureuse de lui, qui n'a en fait que pitié et amitié pour elle, jusqu'à ce qu'il soit trop tard pour revenir en arrière...

Un des seuls romans de Zweig, parsemé de multiples et brillants "récits dans le récit" ; tous les personnages sont décrits de façon magistrale, chacun à son histoire propre et tragique... La psychologie des personnages est des plus abouties, bref, c'est pour moi à le meilleur écrit de Zweig, bien que je connaisse quelques personnes pour lesquelles c'est au contraire un des ouvrages les moins bons.

Amok

Aux Indes, un médecin sur un bateau raconte une histoire au narrateur: comment, quelques temps plus tôt, une femme est venue le voir, pleine d'orgueil et de fierté, sûre d'elle, pour lui demander de la faire avorter. Voulant mettre à l'épreuve le mépris qu'elle lui montre, et se sachant le seul médecin suffisamment doué pour mener à bien une telle opération, interdite par la loi, il dit ne vouloir accepter que si elle veut bien se donner à lui. Elle s'enfuit de suite. Terriblement honteux, et apprenant que cette femme appartient à la haute société, et que son mari parti en voyage revient dans quelques jours, il tente tout pour s'excuser et accepter cette opération. Mais elle le rejette, feint de l'ignorer; lui en devient fou, de la folie d'Amok, cette folie des Indes lorsque le soleil brûle et que l'air vous fait suffoquer. Finalement, au bord de la mort pour avoir tenté d'avorter avec une vieille rebouteuse indienne, elle l'appelle à son chevet, mais il ne peut plus rien pour elle. Le lendemain du jour où le médecin fait ce récit, lorsque le bateau arrive, le narrateur apprend que l'homme s'est suicidé, s'attachant à la tombe de la femme qu'il était chargé de rapatrier, et les jetant à l'eau.

"Les oeuvres de Stefan Zweig comptent parmi les plus lucides tragédies modernes de l'éternelle humanité. Amok est de celles-là, avec son odeur de fièvre, de sang, de passion et de délire malais... Amok est l'enfer de la passion au fond duquel se tord, brûlé mais éclairé par les flammes de l'abîme, l'être essentiel, la vie cachée." (Romain Rolland)